Archive for mars, 2018

Minimum syndical

Avec la production de ce dernier texte, mon contrat d’écrivain en résidence prend fin. Quatre textes en quatre jours. Beaucoup plus impliquant que je ne l’aurais imaginé. Lors de ma visite à la prison de Trois-Rivières jeudi dernier, j’ai dit aux détenus qu’ils avaient tout ce qu’il fallait pour écrire: des choses à dire; et du temps.

En premier lieu, mon défi consistait à trouver un sujet (j’avais carte blanche). La liberté, la vraie, nous place devant le vertige de l’infini des possibles. Avant même de tracer des mots, écrire, c’est se mettre à l’affut pour chasser une histoire. L’écrivain est continuellement en embuscade. Tout le réel autour de lui est susceptible de devenir une histoire. Écrire, c’est un état d’esprit. Une obsession.

Ensuite, il fallait finir à temps pour l’heure de lecture quotidienne. J’ai alors ressenti le stress du journaliste avant l’heure de tombée. Finalement, c’était une bonne idée d’apporter ma chemise de travailleur Big Bill dans ma valise; j’avais le sentiment d’un ouvrier qui doit produire à chaque jour. Tellement éloigné de ma propre façon d’écrire, sans échéance et sans pression.

Mais je vais regretter ces moments solitaires dans ma chambre au onzième étage, assis devant le fleuve à regarder passer les glaces pour m’inspirer.

Mon contrat exigeait un texte par jour. Mais quelle devait être la longueur de ce texte? Il est bien évident qu’avec toutes les activités auxquelles je participais, je n’allais pas pouvoir écrire Guerre et paix. Lors de ma première lecture à l’ouverture du Salon, je me suis engagé, à la blague, à publier au moins un haïku par jour. L’équivalent du minimum syndical pour l’écrivain en résidence.

En français, le haïku est un nano poème, composé de trois vers de cinq, sept et cinq syllabes. Un petit texte d’une grande densité, beau et nutritif. Comme un sushi.

Le voici, ce fameux haïku. Celui qui résume dans toute sa brièveté la richesse de mon expérience d’écrivain en résidence au 30ième Salon du livre de Trois-Rivières.

Chemise Big Bill
Un col bleu de l’écriture
Au Salon du livre

Le pinacle de l’humiliation

Écrire, c’est rendre compte de la nature humaine. Aucune émotion ne doit être étrangère à l’écrivain. C’est un spéléologue en rappel sur la paroi des abysses de l’âme; un bathyscaphe explorant les profondeurs de l’esprit; un foreur en quête de pépites de vécu. Et puisque les gens heureux n’ont pas d’histoire, l’écrivain doit être particulièrement versé dans la connaissance du côté obscur de la vie.

Il doit pouvoir décrire la solitude d’une petite fille rejetée par ses amies dans la cour de récréation de l’école St-Paul. Il doit tout savoir de l’affolement d’un schizophrène errant dans un délire de verbigération sur le boulevard des Forges. Il ne doit rien manquer du désespoir des parents d’adolescents inculpés pour un double meurtre sur la rue Saint-François-Xavier. Il doit pouvoir faire ressentir la peine qui déchire les parents à l’enterrement de leur enfant à l’église Ste-Cécile.

Avec la simple évocation d’un frigo contenant un demi oignon dans une soucoupe  ébréchée et un pot de mayonnaise à moitié vide, l’écrivain saura exposer la pauvreté d’un étudiant de l’UQTR. L’écrivain n’a que ses mots pour transmettre au lecteur l’intensité des émotions vécues par les personnages. Avec de simples mots, il pourra susciter des réactions physiques telles que l’angoisse, le rire et les pleurs. C’est un pouvoir qui tient de l’envoûtement vaudou.

Parmi les situations les plus cruelles à décrire pour un écrivain, il y a la solitude des auteurs en séance de signature au salon du livre de Trois-Rivières.

Ce peut être un monsieur de Roquemaure, qui vient présenter un livre auto-édité relatant la présence de la famille Lavoie en Abitibi. Assis devant un guéridon surchargé de livres invendus, Maurice Lavoie est seul au milieu de la foule, qui circule autour de lui comme l’eau du St-Maurice s’écoule de part et d’autre de l’île St-Quentin. Entre deux bâillements discrets, il consulte furtivement sa montre et calcule le coût de cette désastreuse opération publicitaire. Il enrage de reconnaître que sa femme avait raison. On ne le reprendra plus.

Ou encore Émilie, douze ans, avide de partager son premier livre Zoé a raison avec des jeunes lecteurs. Increvable enthousiaste, elle distribue des sourires qui se perdent dans le brouhaha des badauds indifférents.

Il y a aussi Monique, dont le dernier livre Guérir avec l’énergie des cristaux vient tout juste de sortir de presse. Assoiffée de contacts humains, elle finira par engager la conversation avec son voisin Alexis, déguisé en guerrier elfique aux oreilles pointues pour présenter sa nouvelle collection d’œufs de dragon.

Et bien sûr, l’incontournable Félix-Emmanuel, jeune romancier prometteur, ruminant son mépris pour la bêtise du public qui préfère rencontrer un cuisinier tatoué ou la mascotte de Geronimo Stilton. Son éditeur lui avait pourtant fait miroiter les plus grandes foules à la suite du plébiscite de son premier roman Mile-End moka par Marie-Louise Arsenault. Rivé à son téléphone, Félix-Emmanuel ne tente même plus de dissimuler son emmerdement.

À la tristesse et au pathétisme de ces auteurs esseulés, il faut encore ajouter la cruauté lorsque ces derniers sont confinés à proximité du kiosque de Patrick Sénécal, dont la file de lecteurs s’étire comme anaconda ostentatoire.

Mais pour l’auteur esseulé, le pinacle de l’humiliation est atteint lorsqu’une belle lectrice dans la quarantaine racée vient lui demander si c’est bien ici qu’elle doit payer son exemplaire des 7 jours du Talion.

Texte lu lors du Cabaret poétique au Bar l’Épilogue.

Le banc des joueurs

En ce matin de mars, au coeur du quartier Ste-Cécile à Trois-Rivières, la récréation bat son plein dans la cour de l’école St-Paul. Pendant que les enfants s’ébattent en une joyeuse cacophonie, la petite Flavie est assise sur le banc des joueurs. Seule. Encore. Au début de l’année, la maîtresse a expliqué que quand on n’avait pas d’ami pour jouer, on allait s’assoir sur le bancs des joueurs. Et là, les autres amis venaient nous chercher pour jouer avec eux.

Mais les amis ont oublié le règlement du banc des joueurs. Depuis la chicane avec Simone, Flavie passe toutes ses récréations sur le bancs des joueurs. Elle regarde avec avidité les autres amies jouer. Elle retient les larmes derrière ses yeux. Ça gonfle et ça pousse sur ses yeux. À la maison, le barrage cède souvent et la peine coule sur ses joues. Ça fait du bien. Mais à l’école, elle ne pleure pas. Sauf si elle se fait mal.

La maman de Flavie dit que les filles sont fortes et peuvent faire tout ce qu’elles veulent. Mais pourquoi les autres filles sont si méchantes avec elle?

Dans la dictée de ce matin, les lettres se sont mélangées et la maîtresse a mis plein de rouge sur sa feuille. Encore. C’est mieux depuis que Flavie a ses lunettes; au moins elle n’a plus mal à la tête. Hier, en mathématique, elle n’a pas eu le temps de faire toutes les additions. Deux minutes, ça va trop vite. Simone, a réussi, elle. Elle a reçu une carte privilège. Une autre. Ça lui en fait douze. Flavie n’en n’a qu’une. Parce qu’elle a bien rangé son bureau.

Seule sur le banc avec ses petits gants, Flavie gèle des doigts. Ce matin, avant de partir pour l’école, elle a fait une crise pour ne pas mettre ses mitaines qui ressemblent à des baleines. Depuis que Simone a ri de ses mitaines baleine, Flavie ne veut plus les porter. Alors elle gèle des doigts sur le bancs des joueurs. Enfin, la cloche sonne. Elle va pouvoir se réchauffer.

Ce soir, quand son père viendra la chercher, Flavie lui dira qu’elle a passé une bonne journée et qu’elle s’est bien amusée avec ses amies. Encore. Parce que papa aime ça quand elle est heureuse.

Texte lu lors de la soirée de poésie du Festival international de poésie, au Bar l’Épilogue. Photo: Club de photo Mauricien.

Kidnappé à Trois-Rivières

En 1646, alors qu’il est encore adolescent, Pierre Esprit Radisson quitte Paris pour les Trois-Rivières, comme on disait à l’époque en Nouvelle-France. Il faut s’imaginer le choc culturel. Fondée quatre ans plus tôt, Trois-Rivières n’est à cette époque qu’une petite bourgade fortifiée par une palissade abritant une vingtaine d’habitants. La forêt est partout. Les cours d’eau sont les seuls chemins pour parcourir un continent titan. On est loin des grands boulevards de Paris.

En 1651, au cours d’une escapade de chasse avec des amis, le jeune Radisson se fait capturer par une patrouille iroquoise, qui compte le ramener dans son village pour le torturer à mort. Mais devant la bravoure et la hardiesse de Radisson, le chef du village décide d’adopter le jeune Français. Âgé d’à peine 16 ans, Radisson va complètement s’ensauvager, c’est-à-dire apprendre la langue et la culture de ses ravisseurs, jusqu’à se vêtir comme eux et se battre à leurs côtés contre leurs ennemis.

Ayant réussi à s’évader, Radisson propose au gouverneur de la Nouvelle-France sa précieuse expertise dans le commerce des fourrures. C’est ainsi qu’en 1660, il effectuera un retour triomphal à Trois-Rivières, à la tête d’un convoi de rabaskas chargés de précieuses pelleteries.

En 1994, adolescent natif de Québec, je débarquais à Trois-Rivières pour étudier à l’UQTR. À l’instar du jeune Radisson, dont la vie allait basculer, je me suis fait kidnapper par le bac en récréologie. Guidé par des professeurs stimulants en compagnie de confrères passionnés, j’ai voyagé au coeur du savoir, je me suis découvert et réinventé pendant les cinq plus belles années de ma vie.

Et aujourd’hui, au terme d’aventures palpitantes, c’est à titre d’écrivain que je reviens à Trois-Rivières, avec un rabaska chargé non pas de peaux, mais de mots, avide de partage et de rencontres avec la ville qui m’a fourni un pack sac de connaissances qui me seront utiles pour toujours.

 

Texte lu lors de la cérémonie d’ouverture du 30e Salon du livre, à l’Espace Radio-Canada. Photo: Club de photo Mauricien

 

 

 

Bienvenue au Salon du livre de Trois-Rivières!

Du 21 au 24 mars 2024 au CECI de l'Hôtel Delta

Animations
Auteur.e.s en dédicaces
Maisons d'édition présentes
Plan du salon
Billetterie en ligne