RÉSIDENCE, Jour 02 : IMAGES D’ÉPINAL

J’ai toujours aimé les zones troubles, les lieux indistincts aux frontières fugitives. Naturellement, j’ai senti le besoin d’investir le territoire.

Vivre en Mauricie, région peuplée de 7,4 habitants par kilomètre carré, dont le Nord, près du réservoir Gouin, est quasi inhabité (si ce n’est de Clova, de Parent et d’Obedjiwan, principalement), ne pouvait que stimuler mon intérêt pour un fantastique des grands espaces. Tant de fantômes se dérobent à première vue au regard, n’exposent qu’à contrecœur leurs stèles ensevelies sous les herbes hautes. Combien de temps ai-je mis avant de m’apercevoir qu’une maison en ruine se trouvait tout près de chez moi, sur le passant boulevard des Forges à Trois-Rivières, cachée par un couvert de cèdres aux voûtes affaissées? Les arbres, déjà denses entre les fondations et les reliquats d’une cabane d’enfants, allaient me rappeler encore une fois à quel point la nature reprend sans attendre le contrôle de l’espace. La puissance fantastique qui irrigue ses racines.

En plein territoire urbain, la peur devenait possible. Comme si le lycanthrope cher à notre folklore québécois pouvait dès lors surgir. Étais-je certaine de ne pas me trouver en contrée de légendes? Les barrages hydroélectriques et les génératrices des pourvoiries avaient-ils une fois pour toutes chassé loups-garous, lutins, feux follets et mistigris, créatures n’aimant ni le soleil ni le bruit des machines, qui se seraient réfugiées loin des incarnations de la modernité? Ne raconte-t-on pas que le Nord est le repaire du Diable et de l’un de ses suppôts, le wendigo? Le démon aurait-il gagné, comme on l’affirmait jadis, les Forges-du-Saint-Maurice ?

Nul doute, notre forêt boréale possède quelque chose de… fantastique. L’ailleurs abandonne parfois derrière lui des indices dont il suffit de remonter le fil, labyrinthe sous le sceau duquel mon existence doit – immanquablement – s’inscrire.

Je tiens à décrire dans mes écrits ces lacs sans noms, ces régions nordiques (dont la nôtre) où l’on peut marcher des heures sans rencontrer quiconque. Autant de pistes oniriques que les mots tentent de capturer à la manière d’histoires de pêche.

Plus de quinze ans après avoir quitté mon village d’enfance, Grandes-Piles, niché dans les montagnes sur l’une des berges du Saint-Maurice, je suis encore puissamment habitée par son souvenir. La petite fille solitaire au bout du quai sera toujours présente, le regard tourné vers la rivière aux eaux opaques.

Ariane Gélinas
Auteure en résidence 2017

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