(Ce texte a été écrit à la suite de mon passage à l’Établissement de détention de Trois-Rivières, où j’ai donné une conférence devant une cinquantaine de détenus. Une expérience inoubliable d’humanité et d’authenticité.)
scène extérieure 1
la brique beige ne brille pas mais les grilles oui
les corridors de barbelés sont au moins aussi piquants que le ciel de mars
c’est un gris qui m’est nouveau, de la couleur du bruit suraigu d’un sabre qui sort de son fourreau
le vacarme du grillage me fait sursauter : il s’agit d’une porte qui s’ouvre au moyen d’un treuil et de moult poulies qui grincent; derrière le battage de la chaîne qui la tire tinte la clôture Frost qui me rappelle la cour de récréation de mon école primaire
à n’en pas douter c’est une cage
c’est encore l’hiver autour de la prison
et pour l’instant, outre deux civils, je n’ai vu que des hommes habillés en bleu ciel avec des trousseaux de clés gros comme ça
scène intérieure 1
ce sont des classes comme toutes les classes excepté les cadenas sur les armoires
ce sont des classes comme toutes les classes excepté que rien ne traîne nulle part
ce sont des couloirs comme tous les couloirs excepté les caméras qui pendent
c’est un gymnase comme tous les gymnases excepté les lits de métal rivés sur les murs
ce sont des hommes comme tous les hommes excepté qu’ils sont ici
scène extérieure 2
à ma sortie de l’établissement
passé la porte qui grince et les grilles qui brillent
le ciel me semble plus grand et le fond de l’air plus froid
j’aperçois un homme qui attend
je remarque sa veste, le sac de vêtements à ses pieds et ses souliers qui ne sont pas de saison
la dame qui m’accompagne le reconnaît
c’est Mathieu
c’est le jour de sa libération
et sa réponse à la question «comment tu te sens?», c’est
«je suis craintif»
plus tard on le remarquera dans un taxi par le rétroviseur