Premier texte de l’écrivain en résidence

CONSEILS AUX AUTEURS EN SALON

Le Salon du livre de Trois-Rivières est franchement exceptionnel parce qu’il respecte totalement son appellation. Le Salon du livre de Trois-Rivières est, effectivement, un salon du livre et il ne se déroule pas à St-Éphrem de Beauce, mais bien à Trois-Rivières. La concordance est féerique.

Mais malgré son côté singulier et unique, comme le fait que le salon soit à un jet de pierre (ou de bière) du Temps d’une pinte, par exemple, il y aura néanmoins quelques points en commun avec certains autres salons du livre. Je pense aux files pour Patrick Senécal, aux files pour les stars des livres de cuisine, aux files et aux filles en pâmoison devant le beau Michel Jean… Mais je pense aussi aux braves qui passeront la fin de semaine à affronter le vide, le néant ou, pire, l’œil indifférent des acheteurs du guide de l’auto.

Alors à toi qui es en joualvert parce que le stand en face du tien ne dérougit pas, tout comme ton visage mercurochromé de colère, écoute les conseils de tonton Gigi pour t’assurer de vendre des livres sans t’emmerder avec le public.

Une des premières règles, sinon la plus importante, c’est le sourire. Ne souris surtout pas. Tu n’es pas un petit clown, un humoriste, un animateur de variété ou un chanteur populaire, non ! Tu es un auteur ! Ou une auteure ! Même si plusieurs te taxent d’autrice. Tu n’as donc pas à être aimable et à t’abaisser à relever tes commissures comme un vulgaire chimpanzé. Non ! Tu es un Dieu, tu es une Déesse, tu crées des mondes, que dis-je, des mondes, tu crées des univers !

Tu fais naître des hommes et des femmes qui obéissent à ton bon vouloir, qui ne peuvent rien faire si tu ne les fais pas agir. Tu es si puissant que tu as même droit de vie et de mort sur tes créatures ! Alors, tu ne vas pas dépenser ta salive à donner la réplique à des êtres qui évoluent, ou plutôt qui déambulent, dans un monde insignifiant ? Car quel peut-être ce monde dans lequel errent ces zombies si ce n’est un monde insignifiant puisqu’il s’agit d’un monde que tu n’as pas créé ? Non, crois-moi, tu ne veux pas attirer les gens à ton stand. C’est leur argent que tu veux et non leur absente présence. Tu veux qu’ils achètent ton livre et qu’ils débarrassent. Tu peux, bien entendu, augmenter la valeur de ton œuvre en en gratifiant le support de ta sensuelle calligraphie. Mais, je t’en prie, fais-le avec désinvolture, l’air blasé, en regardant tout sauf l’objet à orner de ton talent et encore moins la personne qui pollue ton horizon et qui empêche tes méninges de cogiter à ta prochaine création divine.

Tu doutes peut-être de mes conseils, mais je te le dis, en adoptant cette attitude, tu envelopperas ta personne d’une mystérieuse aura qui fascinera le lectorat et jettera, bientôt, les ingénus de tous sexes à tes pieds. On t’encensera, on louera ton œuvre, mais en silence, sans même te lire, car on te craindra, on craindra ton esprit qui risquerait d’éclater en quelque étrange orage si on devait ne pas bien saisir le sens de tes écrits ou l’interpréter de mauvaise façon. Toi seul sais ce que tu veux dire. Et c’est bien suffisant.

Maintenant, pour toi qui préfères garder les yeux sur ton téléphone malgré le trafic qui passe devant ton stand, je te recommande de tenir ton téléphone plus haut, carrément devant ton visage. Mais télécharge d’abord l’application See through, une application qui te permet, non pas de voir un trou, mais de voir à travers ton téléphone et donc, de voir ce qui se passe dans la vraie vie tout en te donnant l’impression que tu ne rates rien du web puisque tu as les yeux rivés sur ton écran. Ce qui est merveilleux, c’est que ce réel que tu perçois à travers ton appareil, l’application te permet de le maquiller en l’entourant du graphisme de Facebook, YouTube ou même YouPorn (si quelqu’un passe tout nu dans le Salon, on sait jamais), pour te donner l’impression que tu ne perds pas ton temps à vivre ce qui se déroule vraiment autour de toi et qu’au contraire, tu te divertis pas mal plus en regardant des choses qui ont lieu sur les zinternets.

On croira alors que tu fais de la recherche pour ton prochain opus et on ira directement à la caisse avec ton livre pour éviter de te déranger.

Mais, me diras-tu, pour vendre des livres, ça prend un minimum de promo, non ? Oui. Toutefois, si on t’invite à Plus on est de fou, plus on lit, refuse. Ton esprit mérite mieux qu’une petite tribune limitée à l’audio. On doit absolument te voir afin de saisir toute la profondeur de ton éclatante personne. N’accepte rien en bas de Tout le monde en parle. Et encore. Si tu acceptes d’honorer de ta prestigieuse présence, ce petit talk-show dominical, cette messe de BS, n’oublie surtout pas de tutoyer Guy A Lepage et de lui dire que tu n’as jamais aimé son humour. Et n’hésite pas à interrompre les autres invités ou à soupirer bruyamment en hochant la tête quand ils parlent, et ce, quoi qu’ils disent. Retourne les verres de vin qu’on te sert en leur trouvant des défauts et en déclinant lesdits défauts à l’imparfait du subjonctif en serrant les dents comme seuls les auteurs expérimentés savent le faire.

« Il eût fallu que vous décantassiez comme il se doit ce sanguin liquide qui ne souffre nullement les malhabiles secousses que vous lui infligeâtes comme si c’eût été le plus vulgaire des vinaigres. Vous êtes décevante. Non. Vous êtes LA déception. »

Alors, voilà. Si, malgré tous ces conseils, personne n’achète un seul de tes livres, si personne ne daigne ramasser ne serait-ce qu’un simple signet, il ne te restera qu’une solution : écrire un Best Seller.

Texte lu lors de l’ouverture officielle du Salon du livre.
Photo: Hélène Soulières

Partenaires majeurs

Bienvenue au Salon du livre de Trois-Rivières!

Du 21 au 24 mars 2024 au CECI de l'Hôtel Delta

Animations
Auteur.e.s en dédicaces
Maisons d'édition présentes
Plan du salon
Billetterie en ligne