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Salon du livre ouvert l’hiver : partie 2
Dimanche prochain, à 15h15, aura lieu l’avant-dernière activité de ma résidence d’auteur au Salon du livre à Trois-Rivières, une entrevue autour de ouvert l’hiver que j’ai confiée à Guy Buckley. L’entrevue, en parfait passionnés que nous sommes, a en réalité débuté au début du mois. En voici le deuxième moment.
Pour lire le début de l’échange, cliquez ici.
25 mars
Tu te croyais lent… D’accord pour les «marqueurs de relation», mais c’est quand même plus complexe que ça… De toute façon, l’épuration du langage et de la matière des premiers poèmes du recueil demande peut-être justement à ne pas être alourdie par une référence déviant l’attention vers autre chose que ces moments cristallisées comme des flocons éphémères prolongeant leur vie par la lenteur de leur descente.
Et plus ils descendent, plus ils s’agglutinent et grossissent pour finir par s’écraser définitivement, tout comme le suggère le graphisme de ton recueil. Ainsi, le parcours proposé nous mène d’un petit flocon japonais à une marre de boue québécoise annonçant la fonte de ce qui vient d’être exposé. Son calendrier n’est pas composé de cases aux dimensions identiques, mais de jours prenant de plus en plus de surface sur la feuille. Crescendo de fonte sur recul des souvenirs conservés dans la glace. Ici, l’hiver sert vraiment à concrètement empêcher quelque chose d’entièrement s’évanouir.
Il s’est écoulé deux semaines depuis ma dernière intervention et cela m’aura permis d’assister à ta lecture publique du recueil au Zénob, hier le 24 mars.
Dans ce qui est rapporté de la scène poétique à ton sujet, il a beaucoup été question de performance depuis un certain temps, et tel un Sotomayor du poème habité, tu t’es exercé à élever la barre transversale au-dessus de laquelle tu aimes libérer la poésie de ses contraintes gravitationnelles et formelles. Au vu de tout cela, et en application de la règle 81.5 du Règlement intérieur, je suis sorti de ta lecture à deux voix plutôt perplexe.
Pas d’artefact, pas de contraintes douloureuses à la Dulude, du type tirer de sa main nue sur un hameçon ou enfiler un pull de laine plié et surgelé comme un calmar qui n’a pas vu la mer depuis six mois, pas de mise en scène, de surprise, de Dulude…
Ce n’est que quelques heures plus tard que quelque chose m’est venu, réalisant à nouveau que la texture épurée des poèmes ne donnait pas nécessairement place à une interprétation trop éloignée de ce que les mots seuls suffisent à camper. Il n’en demeure pas moins que même justifiable, cette prestation s’inscrivait dans l’appréhension par le public d’une performance, puisque l’invitation le mentionnait ainsi. Il se peut qu’une subtilité m’échappe encore, car Dulude a parfois des chemins tordus pour démontrer ce qui le préoccupe.
Je vais sortir de mon intervention avec un ton interrogatif. Tu as parlé des accomplissements formels de du Bouchet pratiquement des exploits , de ce vide bien plein et de ce minimalisme aux allures de grande densité, un peu comme si sa poésie tentait d’atteindre à la perfection formelle boulézienne, mais tout en restant toujours un peu en-dessous, bien sûr, et alors je te demande si ta saison froide représente une des nombreuses pierres d’un édifice qui se voudrait lui aussi à l’image de cette manière du Bouchet que tu as décrite avec tant d’éloquence ?
Bon Salon du livre ouvert l’hiver.
26 mars
Merci Guy. Je vois d’où vient ta question. Je suis conscient qu’ouvert l’hiver, de manière générale, déjoue les attentes. Des attentes, appelons-les, d’intensité. Certains connaissent chambres, où l’expérience de lecture était probablement tout sauf confortable. On m’a vu en performance. Idem pour le confort.
Pourtant, ma recherche-création en écriture et en performance m’apparaît n’avoir pas tellement bifurqué avec le nouveau livre. Évidemment que la facture globale en est nettement différente, aux antipodes de l’excès visuel de chambres, mais ouvert l’hiver et la lecture-performance qui l’accompagnait au lancement mardi dernier renoue avec mon obsession à écrire l’expérience du manque, les présences qui s’évanouissent, les absences (les miennes et celles des autres). Il me semble que tout ce que j’ai écrit ou fait devant public depuis 2006 rejoue les mêmes scènes originelles, les grands deuils et ruptures de la vie, lesquelles sont, tout freudien que je suis, inévitablement, elles-mêmes, des scènes d’angoisse rejouées depuis l’âge du berceau.
Dans ouvert l’hiver, le corps n’est plus le lieu de ces scènes recréées. Le corps y est gelé (celui du sujet masculin, parce que le sujet féminin, au contraire, a les joues bien rouges), ne reste plus que le regard et la voix pour entretenir avec le monde un filet de relation. Dans cette perspective, en effet, comment penser la performance, art du corps par excellence? J’ai donc eu cette idée de dialoguer avec une voix in absentia. J’ai voulu enlever, plutôt qu’ajouter. Un peu comme dans chambres où les textes accusaient continuellement un «tu» tandis que les photographies du recueil me mettaient en scène dans une parfaite et désespérante solitude, la violence du propos retournée sur le sujet.
Sans dire que la question me tarabuste, je m’interroge sur mon travail de performance à venir. J’ai envie de travailler avec le silence, faire moins pour signifier plus. Donner congé à mon corps, quelque temps du moins, déplacer le lieu des enjeux affectifs des poèmes. Je ne sais pas. Je cherche, toujours la même chose.
Dis, Guy, tu as remarqué, dans ouvert l’hiver, qu’il n’y a pas deux «personnages» (le gars et la fille, pour archi-simplifier), mais trois? Certains m’ont dit que l’hiver même y jouait un rôle. Certes, mais je parle d’un troisième personnage de chair. Tu l’as remarqué à la fenêtre?
On poursuit ça.
PS. «comme si sa poésie tentait d’atteindre à la perfection formelle boulézienne, mais tout en restant toujours un peu en-dessous, bien sûr» : LOL.28