Troisième texte de l’écrivain en résidence

VIVRE DANS LA MARGE

Dès le premier automne de la pandémie, j’ai réalisé que je n’étais pas né pour être un mouton. Je regardais les gens aller avec leur masque dans les parcs, leur masque sur le trottoir, leur masque dans l’auto et ça me déprimait profondément. Ce n’est qu’à la mi-octobre que j’ai allumé et que j’ai trouvé comment faire pour être dans la marge. Du jour au lendemain, je me suis mis à porter le masque en tout temps. Je le retirais rapidement pour avaler une bouchée et une gorgée tout aussi rapidement et c’est tout. Je l’enlevais même pas pour dormir ! Pour bien marquer ma marginalité à venir, je me suis fait faire un masque sur mesure avec une fermeture Éclair devant la bouche. À part le fait que ma blonde se soit coincé la langue dedans à moult reprises, c’était bien pratique. Vous vous dites sûrement qu’il n’y a pas beaucoup de marginalité dans un tel excès de zèle et vous aurez raison. Mais c’est à la fin du mois que j’ai mis mon plan à exécution. Je m’étais caché le visage pendant plus de deux semaine et là, le jour de l’Halloween, paf : j’ai tout enlevé ! Esprit de contradiction absolu ! Je porte un masque tout le temps, SAUF à l’Halloween. Je suis allé à plein de partys privés d’Halloween, pas de masque ! Le monde capotait. J’allais à l’épicerie, à la pharmacie, à la boucherie, partout où c’était ouvert, sans masque !

J’avais beau expliquer au monde que j’étais un marginal, que je voulais pas être un mouton et que, justement parce qu’on était l’Halloween, il n’était pas question que je porte un masque, je me faisais insulter pis je me faisais systématiquement jeter dehors.

Aaaah ! Ça faisait du bien. Je me sentais vraiment unique.

J’ai trouvé l’expérience tellement gratifiante que j’ai décidé de l’appliquer à tout ce qui s’en venait. Alors, tous les jours précédant Noël, j’ai acheté un cadeau à chacun des membres de ma famille SAUF le jour de Noël. Ça c’est de la marge !

Le lendemain, j’ai commencé à souhaiter bonne année à tout le monde que je croisais, et ce, jusqu’au 31 décembre, minuit et, le 1er janvier, à une seconde du matin, je me suis tu et j’ai ignoré la planète pendant toute la journée.

Ensuite, en attendant la St-Valentin, j’ai gâté ma blonde comme jamais en lui achetant quotidiennement des fleurs et en lui faisant l’amour à toutes les deux ou trois heures. Le jour même de la St-Valentin, j’ai baisé avec plein de filles SAUF avec ma blonde. Comme je pouvais pas inviter plusieurs filles à un souper d’amoureux, j’ai fait un déjeuner de St-Valentin, une collation de St-Valentin, un dîner de St-Valentin, une autre collation de St- Valentin, un souper de St-Valentin et, avec la dernière femme que j’ai gratifiée de mes prouesses, j’ai fumé un gros joint, alors on s’est tapé des munchies de St-Valentin.

J’ai commencé à acheter des livres, aussi. Sept fois par semaine. Mais le 12 août, cherchez moi pas, je reste chez nous !

Ce qui me stresse un peu, c’est qu’il y a Pâques qui s’en vient.

Alors, oui, j’ai commencé à manger du chocolat. Comme un malade. Je suis tout le temps en train de manger du chocolat. Si je lisais pas présentement, c’est sûr que je croquerais dans une tablette de chocolat. J’avoue que je commence à avoir hâte que Pâques arrive. Pour pas avaler de chocolat, justement ! Ce qui fait que je décroche tranquillement de mon trip de marginalité, je me dis : « Ouin… C’est compliqué d’être dans la marge. » Et là, tout à coup, j’ai eu un éclair de génie. Je me suis dit : « Ben non ! Pour être dans la marge, c’est très facile : fais comme dans le temps ! » Je me suis donc mis à faire des blagues de gais, des blagues de blondes, de grosses, de naines. Je pouvais pas être plus hors normes. Pour faire comme dans le temps aussi à Montréal, maintenant, je fais tout en char. J’arrive au coin de la rue, je garroche mes cochonneries par la fenêtre. J’ai même recommencé à fumer juste pour avoir le plaisir de vider mon cendrier sur l’asphalte au coin d’une rue. Je coupe les piétons, je coupe les cyclistes, je me gare aux endroits réservés aux handicapés. Ça, je trouve ça bien pratique parce que moi, j’aime boire au volant. J’ai toujours ma bière ou ma petite flasque de gin entre les cuisses.

Alors quand je débarque et que je suis pas mal gorlo, j’apprécie beaucoup le fait de pas être obligé de tituber trop longtemps pour me rendre à la SAQ. S’il y a un policier pas loin, c’est moins louche.

J’ai un démarreur à distance, alors l’hiver je pars mon char au moins une heure à l’avance pour qu’il soit bien chaud et l’été, je fais pareil pour que la clim m’évite de crever. J’ai un petit klaxon bien spécial aussi : pin-pe-pin ! pin-pe-pin ! pin-pe-pin ! Je fais crier ça quand je vois une belle fille sur le trottoir. Je fais juste comme dans le temps et je vous dis que je suis pas mal décalé par apport à la population actuelle. Et je suis fier parce que je suis vraiment dans la marge !

Quand je vois quelqu’un lire un livre, je le traite de fif. Un gars va au théâtre, je le traite de fif. Il écoute des chansons en français ? Je le traite de fif.

C’est sûr que mon comportement a insulté bien du monde, alors j’ai commencé à me battre. Tous les jours. Parfois même deux ou trois fois par jour ! Encore là, ça a fait de moi un citoyen franchement dans la marge parce que ceux qui se battent régulièrement ne représentent que 0,0002% de la population.

Difficile d’être plus champ gauche.

Tout s’est compliqué quand j’ai donné une volée à un gars qui était en chaise roulante. Bon, il faut dire que mettre ça sur Youtube et Facebook, c’était peut-être pas la meilleure idée. On me voyait rire et frapper le pauvre bougre avec sa propre chaise.

Mais moi, je me disais : il doit pas y avoir plus qu’un homme sur un milliard qui frappent des infirmes sans défense. Ça va être presque impossible d’être plus dans la marge que moi ! Ç’a l’air que c’est pas de même que ça marche…

Depuis ce temps-là, plus personne me parle, tout le monde m’évite, on me rejette carrément. J’ai perdu tous mes contacts, tous mes contrats, j’ai tout perdu. J’ai plus de revenus, j’ai été obligé de quitter mon loyer. Alors, je me suis retrouvé dans la rue. Je suis devenu alcoolique, polytoxicomane, je suis diabétique, séropositif. LÀ, je me suis dit que ce serait difficile d’être plus marginal que ça, mais je me suis rendu compte qu’on était de plus en plus nombreux à être pauvres, à vivre dans la rue, ce qui me démarginalise pas mal. Et ça, ça me déplaît beaucoup. C’est vraiment difficile d’être dans la marge.

Texte lu lors du Cabaret des marginalités
Photo : Mario Groleau

Partenaires majeurs

Bienvenue au Salon du livre de Trois-Rivières!

Du 21 au 24 mars 2024 au CECI de l'Hôtel Delta

Animations
Auteur.e.s en dédicaces
Maisons d'édition présentes
Plan du salon
Billetterie en ligne