Troisième texte de l’écrivaine en résidence

Nous voilà déjà rendus au troisième texte (je déteste cette introduction. J’avais le choix entre ça et « Depuis la nuit des temps » mais là je me rends compte que j’avais pas pensé à « BONSOIR TOUT LE MONDE » et ça me fâche). Hier soir, sur cette sublime scène de contrebasse, de belles bettes et de poésie brandie comme une serviette au-dessus de la tête par soir de noces italiennes, l’ami Stanley Péan s’est, pour la deuxième fois, lancé dans la grande aventure de pointer le mot déterminant. Celui dont je m’inspirerais pour écrire ce texte. Il a choisi (tout à fait au hasard) « s’en aller ».

Stanley est resté. Mais je suis repartie avec le bel arrangement de mots dans ma besace et quatre minutes de sommeil.

 S’EN ALLER.

À quoi ça sert de rester icitte, si c’est pour faire aussi mal?

Là, tu vas me répondre que la vie est belle. Qu’elle vaut la peine d’être vécue. Que les enfants. Les voyages. Les revels à l’orange. Scoobidoo. La belle maison avec un comptoir de cuisine en quartz, du beau quartz blanc qui fait qualité, les armoires en teck qu’on dirait vraiment que c’est du vrai, les planchers de bois foncé, t’aimes ça, tu me l’as dit, l’autre fois, que tu trouvais ça beau!

La vie est belle, mais juste dans les annonces.

C’est votre vie, ça. Pas la mienne.

Quand je me réveille le matin, à la seconde où j’ouvre les yeux, je suis comme dans une annonce de ski alpin ou la patente, là, qui fait la promotion des Laurentides, les sapins, le chocolat chaud et les madames en costume de ski turquoise qui ont l’air de jamais avoir vu de neige de leur sainte vie tellement y’en reviennent pas que ça soit l’hiver.

Je vis exactement leur bonheur.

Dans ces quelques secondes-là de yeux collés pis de torpeur, je sais pu chu qui. J’émerge du sommeil, probablement d’un autre rêve où j’étais dans une maison avec des pièces qui finissent pu de finir, de s’agrandir, avec des nouveaux salons qui s’ajoutent au fur et à mesure que j’avance. Des plafonds de cent pieds pis des où y faut j’me penche pour allumer les ronds du poêle. Certaines, avec pas de toit ou un mur qui manque. Dans mes rêves, je me pose jamais de question sur le fait que le monde, dehors, peut me voir dans ma maison pas de murs après ouvrir ma canne de crème de champignons ou m’accroupir pour parler à mon chat avec un accent marseillais. Quand je dors, les murs, c’est un aria.

Chaque fois que je fais ce rêve-là, je sais que je suis chez moi. Je le sens. Mais chaque fois, je comprends pas pantoute comment j’ai pu me ramasser dans c’te maison-là.

Personne m’a averti que je déménageais.

Quessé qui est arrivé avec mon petit trois et demi, mes affaires, mes souliers pis qui a nettoyé derrière le frigidaire à l’autre place, parce que je vais vous le dire, je l’avais jamais fait pis je suis pas mal sûre que la fois où j’ai échappé le chaudron de poulet à la king danse encore la conga en festive flaque proche du mur avec deux trois queues de radis pis un ‘lastique à brocoli. J’espère qu’y me trouveront pas trop dégueulasse (y vont me trouver dégueulasse 10/10).

J’ai beau faire des rêves où je déménage sans le savoir, quand je me réveille, je me sens toujours bien. Dans c’te petite embrasure de journée, où, couchée dans mon lit, encore chaude comme une danoise aux cerises, je sais pu chu qui ni quel âge j’ai, je reconnais la pièce, mais tout juste, je regarde la poussière en suspension dans le petit faisceau de lumière venu me faire les fuck you des rideaux mal tirés, trop vache pour faire la job comme du monde en tombant hier soir, pis j’ai l’impression que la vie est douce.

Enfin.

Que les petits bonhommes vont bientôt jouer à la tévé. Qu’y aura des céréales Fraisinette, celles qui font le lait rose. Que je vais mettre mon coton ouaté de Bugs bunny, celui tout délavé que ma grande sœur portait avec des pantalons fuseaux pêche (j’ai jamais adhéré aux pantalons pêche. Ni au fuseau) et que ma mère va nous annoncer qu’aujourd’hui, on s’en va glisser aux Pays d’en hauts. Dans les tripes.

Pis tout à coup, ça me revient. Comme une claque sua yeule.

Je réalise où je suis. Ce qui m’attend. La soupe dans mon ventre fait trois tours et se glace, comme si quelqu’un me pointait avec son gun. Comme si une escouade venait de défoncer ma porte avec un bélier pour me dire à quel point je suis un tas de marde.

Je le sais, que des fois, les choses finissent par aller mieux, je l’ai déjà entendue, ton histoire, Lucie. Ta vue, je l’ai vue cent fois. Tu peux ranger tes marionnettes, je connais la pièce par cœur. Je sais que pour Lise Dion, ça a ben été, de fourreuse de beignes à millionnaire. Yada. Yada. Yada.

Pleure pas. Je le sais, que ça vient d’une bonne place. Que tu sais pas quoi me dire. Je saurais pas moi non plus.

Je comprends, que tu veuilles pas que je parte. Mais je peux pus rester si je reste juste pour les autres. Ça me coûte trop cher.

Ça me coûte trop cher, Lucie.

Je vais m’en aller en Suisse. Non, pas pour le chocolat. Pour aller me coucher, dans un champ, dans ma capsule, pis faire le plus beau somme que j’aurai jamais fait. Y’ont compris ça, les Suisses. Pas les chipmunks; remarque, je serais pas surprise que les chipmunks aient compris ça, eux-autres avec.

Pleure pas.

Ça va se passer doucement. Je sais que tu l’aimes pas, mon mot, mais de te le dire me fait du bien. Là, là, dans deux semaines, je vais être couchée dans ma Suicide pod. Oui, c’est légal. Comme un œuf géant, une grosse bine tout vitrée qu’on peut installer n’importe où dans le monde. À Rigaud, à Sao Paulo. Bon; c’est les deux villes qui me viennent en tête, là, pis ça rime, c’est un peu gênant. Je vais m’étendre tranquillement, dans mes belles culottes de polar mauves, celles qu’on a achetées dans Charlevoix.

Je vais pouvoir écouter ma musique, mon best of, regarder les maisons avec leur toit pointu, oui, les chalets suisses. Je vais penser au poulet.

Pis là, tranquillement, pendant que toute c’te beauté-là dansera le plus beau ballet de ma vie, je vais m’endormir. Je souffrirai pas. Je souffrirai pu.

C’est pas normal qu’on n’ait pas le droit de pu vivre. Que des gens que je connais pas pantoute aient un avis là-dessus. Une autorité. Des principes. Mais jamais de questions.

À quoi ça sert, de rester icitte si c’est pour faire aussi mal?

Salut, ma Lucie. Je m’en vas.

Pis quand tu vas mettre des boîtes de barres tendres dans ta sacoche à l’épicerie, m’a te regarder, d’en haut. Pis m’a applaudir.

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