Salon du livre ouvert l’hiver – partie 1

Dimanche prochain, à 15h15, aura lieu l’avant-dernière activité de ma résidence d’auteur au Salon du livre à Trois-Rivières, une entrevue autour de ouvert l’hiver que j’ai confiée à Guy Buckley. L’entrevue, en parfait passionnés que nous sommes, a en réalité débuté au début du mois. En voici le premier échange.

6 mars

Ceci est un document préparatoire à une entrevue qui aura lieu dans 23 jours. Le recueil de poésie donnant lieu à cette rencontre suggère à l’intervieweur bien plus de pistes et de considérations que ce qui pourrait tenir dans un échange de 30 minutes. Ainsi, j’augmenterai par d’autres actions l’espace que j’entends consacrer à l’analyse du recueil ouvert l’hiver de Sébastien Dulude.

Mon premier geste est d’écrire cette préparation en gardant à l’esprit qu’elle constitue l’amorce d’un texte couvrant plus large que l’étalement des éléments nécessaires à la bonne conduite d’un entretien littéraire.

Tous ont des livres dans leur salon, mais il s’agit ici de mettre un salon dans un livre. Pour y arriver, l’insertion se fera en trois étapes, chacune correspondant à une couche différente de la réalité du recueil, soit l’ouvrage en tant que tel, l’ouvrage en regard de l’œuvre poétique de l’auteur et l’ouvrage tel qu’inscrit dans la démarche multidisciplinaire du performeur tentaculaire.

Plus de cinq années se sont écoulées depuis la première proposition du poète à me voir animer avec lui une entrevue pour la parution d’un de ses recueils. Ce jour est arrivé et je n’ai jamais su à quoi je pouvais m’attendre. Il y a très peu de temps que j’ai le recueil entre les mains et grande est ma satisfaction. L’exploit d’une signification à plusieurs étages est accompli à l’aide d’une langue si élaguée et raréfiée qu’on s’étonne qu’une telle densité jaillisse de ces capsules aux allures de haïkus. Quelques syllabes pour jouer de l’atmosphère comme d’autres jouent du violon.


Il y a quelques avantages à se pencher sur le travail d’un contemporain. L’air du temps distribue également ses clefs à chaque époque et une sensibilité commune est propice à la bonne compréhension d’une intention. Si l’objet de notre étude est géographiquement accessible, on peut dépasser l’échange épistolaire et amener sa carcasse devant l’individu pour tâter du réel à même la pièce. Si c’est un ami proche, un être estimé et un collaborateur, toute marge d’errance dans la lecture de l’œuvre devient condamnable, et c’est pourquoi je me réjouis d’avoir appris entre maintenant et le paragraphe précédent que le poète en question était désireux de voir ce à quoi je m’adonne en ce moment finir sur un blogue où nous y ferions un échange pré Salon du livre. Ça s’appelle obtenir rapidement un résultat; une action est lancée avant d’atteindre la fin de la première page. La voici, la fin de ma première page.

Aucun jour plus tard

Nous sommes en effet encore le 6 mars. Quand avant même que ne s’ouvre son recueil un poète donne la parole à quelqu’un d’autre, c’est forcément un geste d’admiration, mais la citation doit être judicieusement choisie pour bien annoncer et refléter ce qui suit. Ainsi, à propos de cette citation en exergue : «Dehors / comme / hors de terre / et / enfoui», d’André du Bouchet, je me pose la question suivante : «Dans l’esprit de l’auteur, où et comment se jouxtent cette citation et ce recueil?»

Nous voulons d’abord considérer ces poèmes comme autonomes et détachés de toute chose — la première couche, celle du recueil en tant que tel — et déjà nous sommes devant un deuxième univers, celui d’un poète célèbre aux codes établis. La possibilité du regard vierge est-elle compromise ? C’est ma deuxième question au poète, et ici, je lui cède le clavier, car ce n’est pas un romantique allemand mort depuis un siècle et demi.

11 mars

Je suis lent à te répondre, Guy, mais j’ai aimé cette question dès que je l’ai lue. Je croyais entre temps parvenir à retrouver la source de cet exergue d’André du Bouchet que j’ai apposé contre l’ouverture de mon recueil. Il ne peut provenir que de «l’ajour» ou de «Dans la chaleur vacante», deux titres que je possède chez moi. Que j’aime ces titres. Ceux-ci encore, pour le plaisir : «Ce que la lampe a brûlé», «Retours sur le vent», «Avant que la blancheur». du Bouchet écrit autour des choses, il dit en enlevant, il décrit ce qui disparaît. Il touche exactement à ce que René Lapierre a nommé quelque part − et que j’ai depuis tatoué sur les nerfs − «l’émotion de la forme».

On regarde du Bouchet autant qu’on le lit, on voit et on ne voit rien en même temps. On ressent à partir de presque rien, à propos de presque rien. Son art me fait ployer des genoux. Il dessine certaines choses sans les vider d’aucune substance; c’est que la chose, chez lui, n’a que très peu d’importance. Tout est dans les contours. Question de formes, qui m’émeuvent.

J’ai intercepté l’exergue, pour des raisons évidentes de neige, alors que j’étais aux trois quarts de l’écriture d’ouvert l’hiver. J’ai eu peur de ne pas pouvoir continuer d’écrire, tant relire les poèmes de du Bouchet risquait de me procurer plus de plaisir que de continuer à pelleter les contours de mes souvenirs pour en faire des poèmes.

Il n’est pas nécessaire que le lecteur aille lire ou relire du Bouchet avant de poursuivre avec mes bribes. C’est un simple marqueur de relations. J’ai considéré le mettre en fin de recueil. Mais je craignais que ça oblige encore plus lecteur, à sa sortie. Alors, libre à quiconque d’en faire ce qu’il veut. Pour moi, il s’agit d’une caution à l’ensemble, et d’un rappel, comme d’une dette : nul n’avance nulle part seul.

Concrètement, avant l’exergue du livre, on peut lire un autre marqueur de relations (j’utilise le pluriel à escient) : «Ce livre est pour Catherine M., et à Éric C., pour la chaleur.» Une autre dette. Que je ne t’expliquerai pas ici. Mais qui joue un rôle similaire : inscrire ce livre en relation avec quelque chose du monde, même nébuleusement. Justement, nébuleusement.

(la suite, demain.)

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Du 21 au 24 mars 2024 au CECI de l'Hôtel Delta

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