Archive for mars, 2015

Poème du dimanche

c’est dimanche matin et mon poème n’empêche pas les avions de s’effondrer au sol

c’est dimanche matin et mon poème a les yeux cernés

c’est dimanche et mon poème a fait son smatt toute la fin de semaine

c’est dimanche et mon poème ne fait plus son frais

c’est dimanche et mon poème a peur du lundi

c’est dimanche et mon poème a peur de dire ce qu’il pense

c’est dimanche et le dimanche on se repose, c’est dimanche et mon poème dérange

mais c’est dimanche au Salon et ici mon poème est à l’abri

c’est dimanche et on est ici à l’abri et donc mon poème aimerait vous dire ceci :

mon poème prend beaucoup de précautions pour être bien compris

mon poème aimerait rappeler qu’il est gratuit et n’existe en aucune manière pour être récompensé

mon poème a toujours fait ses affaires et va continuer à les faire

mon poème existe par une nécessité qui ne vous appartient pas; aussi n’avez-vous pas à l’aimer en retour

mais voilà, mon poème le dira aujourd’hui et ne le dira pas demain : mes pieds sont imbibés de crachat et pourtant ils s’obstinent à avancer

mon poème dit aussi : je crois à la dignité, à la compassion et à la colère

mon poème trouve impensable qu’on soit si scandaleusement libres et indifférents de l’être

mon poème se désole que l’imagination soit reléguée avec les passe-temps face aux impératifs mathématiques de la toute-puissante utilité

mon poème tient à vous rassurer : il ne se mutera pas en litanie moraliste des causes nobles qui se battent pour nous tandis qu’on les regarde se faire mater à la télé

mon poème garde son petit carré rouge près de son coeur et va continuer de faire ses affaires

et mon poème va enfin vous dire ce qu’il aimerait vraiment vous dire et ce qu’il a à vous dire, c’est un poème, bien entendu, c’est même un des poèmes les plus bouleversants d’espoir déraisonnable et révolutionnaire qu’il m’ait été donné d’entendre, et il tient en une seule et fragile et innocente petite phrase, vociférée un soir sur scène par un vieux poète beatnik et rebelle et magnifique animé d’une conviction désarmante que seuls les fous, les sages et les enfants oseraient jamais afficher, et mon poème voudrait donc redire ces mots d’Alain-Arthur Painchaud :

«Un jour, nos poèmes joueront dans leurs discothèques.»

Chacun de ces mots m’émeut jusqu’à la moelle épinière par son extraordinaire pouvoir de penser le monde autrement. Je vous les redonne, ils sont à vous maintenant :

«Un jour, nos poèmes joueront dans leurs discothèques.»

Salon du livre ouvert l’hiver : partie 3 (fin)

Aujourd’hui, dimanche 29 mars, à 15h15, aura lieu l’avant-dernière activité de ma résidence d’auteur au Salon du livre à Trois-Rivières, une entrevue autour de ouvert l’hiver que j’ai confiée à Guy Buckley. L’entrevue, en parfait passionnés que nous sommes, a en réalité débuté au début du mois. En voici le troisième et dernier moment, avant l’entretien devant public.

Pour lire la première de l’échange, cliquez ici.

Pour la seconde partie, c’est ici.

samedi 28 mars 2015

Tout en variant tes manières, tes matières, tu conserves l’impression intérieure de redire le même, le tien, celui qui te lie, sans pour le moment pouvoir en sortir, à une source d’inspiration, toujours la même, la plus visitée de toutes, la dialectique échouée des fusions qui ont pris fin.

Tu parles d’attentes déjouées, que tu te trouverais là où nous ne t’attendons pas toujours, ou pour être plus sûr de ce que j’avance, là où je ne t’attends pas toujours. C’est bien possible et c’est tant mieux. La déroute des attentes est souvent à proximité des parcours qui ont du souffle.

Alors comme ça, tu songes donner congé à ton corps… C’est une noble idée. Tu n’auras plus donc que ça, des idées, des idées décorporalisées, qui voyagent mieux en autobus, qui s’immiscent dans les interstices, qui n’ont pas besoin de commander une bière.

Pour revenir à nos leptons, la panoplie des perceptions possibles pour une œuvre donnée varie tant que l’artiste lui-même — surtout lui — ne peut garantir ce qu’il arrivera à émettre. Seulement, tu as cette manière de te répéter consistant à faire très différent d’une fois à l’autre, alors, pas étonnant que parfois, le quasi quinquagénaire que je suis soit laissé en plan par une finesse n’ayant pas survolé mon air du temps passé.

Nous mettrons de l’ordre dans tout ça demain après-midi, alors que je me dépucèlerai devant toi à titre d’intervieweur [littéraire], toi qui te dépucelas il n’y a pas si longtemps à titre de commissaire d’exposition!

Merci pour la possibilité de cet échange, même s’il risque d’avoir été suivi par trois pelés et un tondu.

Guy

Poème du samedi

Enfant terrible

à Catherine Cormier-Larose

«Vous êtes charmant et courtois»

dixit mon biscuit chinois

je réponds aux sourires

et je serre chaleureusement les mains qu’on me tend

avec les mêmes dents et la même poigne qui me servent, ailleurs, à mordre et à tordre

humblement j’accepte les compliments

comme les critiques

mêmes les plus violentes

comme cette gentille dame hier

qui a dit de mon poème

qu’elle l’avait trouvé cute

elle me l’a dit deux fois

je n’ai pas bronché

j’ai trouvé la dame aimable

je me suis senti aimé

j’ai aimé être aimé

j’aimais aimer être aimé et aimer ça

j’ai authentiquement aimé aimer aimer être aimé et aimer ça

c’est simple

parce que pour tout le reste, il y a les poèmes

dans lesquels je peux laisser cours à ma brutalité foncière

et imaginer un mur contre lequel aligner pour les fusiller

tous les biscuits chinois de ce monde

Salon du livre ouvert l’hiver : partie 2

Dimanche prochain, à 15h15, aura lieu l’avant-dernière activité de ma résidence d’auteur au Salon du livre à Trois-Rivières, une entrevue autour de ouvert l’hiver que j’ai confiée à Guy Buckley. L’entrevue, en parfait passionnés que nous sommes, a en réalité débuté au début du mois. En voici le deuxième moment.

Pour lire le début de l’échange, cliquez ici.

25 mars

Tu te croyais lent… D’accord pour les «marqueurs de relation», mais c’est quand même plus complexe que ça… De toute façon, l’épuration du langage et de la matière des premiers poèmes du recueil demande peut-être justement à ne pas être alourdie par une référence déviant l’attention vers autre chose que ces moments cristallisées comme des flocons éphémères prolongeant leur vie par la lenteur de leur descente.

Et plus ils descendent, plus ils s’agglutinent et grossissent pour finir par s’écraser définitivement, tout comme le suggère le graphisme de ton recueil. Ainsi, le parcours proposé nous mène d’un petit flocon japonais à une marre de boue québécoise annonçant la fonte de ce qui vient d’être exposé. Son calendrier n’est pas composé de cases aux dimensions identiques, mais de jours prenant de plus en plus de surface sur la feuille. Crescendo de fonte sur recul des souvenirs conservés dans la glace. Ici, l’hiver sert vraiment à concrètement empêcher quelque chose d’entièrement s’évanouir.

Il s’est écoulé deux semaines depuis ma dernière intervention et cela m’aura permis d’assister à ta lecture publique du recueil au Zénob, hier le 24 mars.

Dans ce qui est rapporté de la scène poétique à ton sujet, il a beaucoup été question de performance depuis un certain temps, et tel un Sotomayor du poème habité, tu t’es exercé à élever la barre transversale au-dessus de laquelle tu aimes libérer la poésie de ses contraintes gravitationnelles et formelles. Au vu de tout cela, et en application de la règle 81.5 du Règlement intérieur, je suis sorti de ta lecture à deux voix plutôt perplexe.

Pas d’artefact, pas de contraintes douloureuses à la Dulude, du type tirer de sa main nue sur un hameçon ou enfiler un pull de laine plié et surgelé comme un calmar qui n’a pas vu la mer depuis six mois, pas de mise en scène, de surprise, de Dulude…

Ce n’est que quelques heures plus tard que quelque chose m’est venu, réalisant à nouveau que la texture épurée des poèmes ne donnait pas nécessairement place à une interprétation trop éloignée de ce que les mots seuls suffisent à camper. Il n’en demeure pas moins que même justifiable, cette prestation s’inscrivait dans l’appréhension par le public d’une performance, puisque l’invitation le mentionnait ainsi. Il se peut qu’une subtilité m’échappe encore, car Dulude a parfois des chemins tordus pour démontrer ce qui le préoccupe.


Je vais sortir de mon intervention avec un ton interrogatif. Tu as parlé des accomplissements formels de du Bouchet pratiquement des exploits , de ce vide bien plein et de ce minimalisme aux allures de grande densité, un peu comme si sa poésie tentait d’atteindre à la perfection formelle boulézienne, mais tout en restant toujours un peu en-dessous, bien sûr, et alors je te demande si ta saison froide représente une des nombreuses pierres d’un édifice qui se voudrait lui aussi à l’image de cette manière du Bouchet que tu as décrite avec tant d’éloquence ?

Bon Salon du livre ouvert l’hiver.

26 mars

Merci Guy. Je vois d’où vient ta question. Je suis conscient qu’ouvert l’hiver, de manière générale, déjoue les attentes. Des attentes, appelons-les, d’intensité. Certains connaissent chambres, où l’expérience de lecture était probablement tout sauf confortable. On m’a vu en performance. Idem pour le confort.

Pourtant, ma recherche-création en écriture et en performance m’apparaît n’avoir pas tellement bifurqué avec le nouveau livre. Évidemment que la facture globale en est nettement différente, aux antipodes de l’excès visuel de chambres, mais ouvert l’hiver et la lecture-performance qui l’accompagnait au lancement mardi dernier renoue avec mon obsession à écrire l’expérience du manque, les présences qui s’évanouissent, les absences (les miennes et celles des autres). Il me semble que tout ce que j’ai écrit ou fait devant public depuis 2006 rejoue les mêmes scènes originelles, les grands deuils et ruptures de la vie, lesquelles sont, tout freudien que je suis, inévitablement, elles-mêmes, des scènes d’angoisse rejouées depuis l’âge du berceau.

Dans ouvert l’hiver, le corps n’est plus le lieu de ces scènes recréées. Le corps y est gelé (celui du sujet masculin, parce que le sujet féminin, au contraire, a les joues bien rouges), ne reste plus que le regard et la voix pour entretenir avec le monde un filet de relation. Dans cette perspective, en effet, comment penser la performance, art du corps par excellence? J’ai donc eu cette idée de dialoguer avec une voix in absentia. J’ai voulu enlever, plutôt qu’ajouter. Un peu comme dans chambres où les textes accusaient continuellement un «tu» tandis que les photographies du recueil me mettaient en scène dans une parfaite et désespérante solitude, la violence du propos retournée sur le sujet.

Sans dire que la question me tarabuste, je m’interroge sur mon travail de performance à venir. J’ai envie de travailler avec le silence, faire moins pour signifier plus. Donner congé à mon corps, quelque temps du moins, déplacer le lieu des enjeux affectifs des poèmes. Je ne sais pas. Je cherche, toujours la même chose.

Dis, Guy, tu as remarqué, dans ouvert l’hiver, qu’il n’y a pas deux «personnages» (le gars et la fille, pour archi-simplifier), mais trois? Certains m’ont dit que l’hiver même y jouait un rôle. Certes, mais je parle d’un troisième personnage de chair. Tu l’as remarqué à la fenêtre?

On poursuit ça.

PS. «comme si sa poésie tentait d’atteindre à la perfection formelle boulézienne, mais tout en restant toujours un peu en-dessous, bien sûr» : LOL.28

Poème du vendredi

(Ce texte a été écrit à la suite de mon passage à l’Établissement de détention de Trois-Rivières, où j’ai donné une conférence devant une cinquantaine de détenus. Une expérience inoubliable d’humanité et d’authenticité.)

scène extérieure 1

la brique beige ne brille pas mais les grilles oui

les corridors de barbelés sont au moins aussi piquants que le ciel de mars

c’est un gris qui m’est nouveau, de la couleur du bruit suraigu d’un sabre qui sort de son fourreau

le vacarme du grillage me fait sursauter : il s’agit d’une porte qui s’ouvre au moyen d’un treuil et de moult poulies qui grincent; derrière le battage de la chaîne qui la tire tinte la clôture Frost qui me rappelle la cour de récréation de mon école primaire

à n’en pas douter c’est une cage

c’est encore l’hiver autour de la prison

et pour l’instant, outre deux civils, je n’ai vu que des hommes habillés en bleu ciel avec des trousseaux de clés gros comme ça

scène intérieure 1

ce sont des classes comme toutes les classes excepté les cadenas sur les armoires

ce sont des classes comme toutes les classes excepté que rien ne traîne nulle part

ce sont des couloirs comme tous les couloirs excepté les caméras qui pendent

c’est un gymnase comme tous les gymnases excepté les lits de métal rivés sur les murs

ce sont des hommes comme tous les hommes excepté qu’ils sont ici

scène extérieure 2

à ma sortie de l’établissement

passé la porte qui grince et les grilles qui brillent

le ciel me semble plus grand et le fond de l’air plus froid

j’aperçois un homme qui attend

je remarque sa veste, le sac de vêtements à ses pieds et ses souliers qui ne sont pas de saison

la dame qui m’accompagne le reconnaît

c’est Mathieu

c’est le jour de sa libération

et sa réponse à la question «comment tu te sens?», c’est

«je suis craintif»

plus tard on le remarquera dans un taxi par le rétroviseur

dans une autre cage, à n’en pas douter

Salon du livre ouvert l’hiver – partie 1

Dimanche prochain, à 15h15, aura lieu l’avant-dernière activité de ma résidence d’auteur au Salon du livre à Trois-Rivières, une entrevue autour de ouvert l’hiver que j’ai confiée à Guy Buckley. L’entrevue, en parfait passionnés que nous sommes, a en réalité débuté au début du mois. En voici le premier échange.

6 mars

Ceci est un document préparatoire à une entrevue qui aura lieu dans 23 jours. Le recueil de poésie donnant lieu à cette rencontre suggère à l’intervieweur bien plus de pistes et de considérations que ce qui pourrait tenir dans un échange de 30 minutes. Ainsi, j’augmenterai par d’autres actions l’espace que j’entends consacrer à l’analyse du recueil ouvert l’hiver de Sébastien Dulude.

Mon premier geste est d’écrire cette préparation en gardant à l’esprit qu’elle constitue l’amorce d’un texte couvrant plus large que l’étalement des éléments nécessaires à la bonne conduite d’un entretien littéraire.

Tous ont des livres dans leur salon, mais il s’agit ici de mettre un salon dans un livre. Pour y arriver, l’insertion se fera en trois étapes, chacune correspondant à une couche différente de la réalité du recueil, soit l’ouvrage en tant que tel, l’ouvrage en regard de l’œuvre poétique de l’auteur et l’ouvrage tel qu’inscrit dans la démarche multidisciplinaire du performeur tentaculaire.

Plus de cinq années se sont écoulées depuis la première proposition du poète à me voir animer avec lui une entrevue pour la parution d’un de ses recueils. Ce jour est arrivé et je n’ai jamais su à quoi je pouvais m’attendre. Il y a très peu de temps que j’ai le recueil entre les mains et grande est ma satisfaction. L’exploit d’une signification à plusieurs étages est accompli à l’aide d’une langue si élaguée et raréfiée qu’on s’étonne qu’une telle densité jaillisse de ces capsules aux allures de haïkus. Quelques syllabes pour jouer de l’atmosphère comme d’autres jouent du violon.


Il y a quelques avantages à se pencher sur le travail d’un contemporain. L’air du temps distribue également ses clefs à chaque époque et une sensibilité commune est propice à la bonne compréhension d’une intention. Si l’objet de notre étude est géographiquement accessible, on peut dépasser l’échange épistolaire et amener sa carcasse devant l’individu pour tâter du réel à même la pièce. Si c’est un ami proche, un être estimé et un collaborateur, toute marge d’errance dans la lecture de l’œuvre devient condamnable, et c’est pourquoi je me réjouis d’avoir appris entre maintenant et le paragraphe précédent que le poète en question était désireux de voir ce à quoi je m’adonne en ce moment finir sur un blogue où nous y ferions un échange pré Salon du livre. Ça s’appelle obtenir rapidement un résultat; une action est lancée avant d’atteindre la fin de la première page. La voici, la fin de ma première page.

Aucun jour plus tard

Nous sommes en effet encore le 6 mars. Quand avant même que ne s’ouvre son recueil un poète donne la parole à quelqu’un d’autre, c’est forcément un geste d’admiration, mais la citation doit être judicieusement choisie pour bien annoncer et refléter ce qui suit. Ainsi, à propos de cette citation en exergue : «Dehors / comme / hors de terre / et / enfoui», d’André du Bouchet, je me pose la question suivante : «Dans l’esprit de l’auteur, où et comment se jouxtent cette citation et ce recueil?»

Nous voulons d’abord considérer ces poèmes comme autonomes et détachés de toute chose — la première couche, celle du recueil en tant que tel — et déjà nous sommes devant un deuxième univers, celui d’un poète célèbre aux codes établis. La possibilité du regard vierge est-elle compromise ? C’est ma deuxième question au poète, et ici, je lui cède le clavier, car ce n’est pas un romantique allemand mort depuis un siècle et demi.

11 mars

Je suis lent à te répondre, Guy, mais j’ai aimé cette question dès que je l’ai lue. Je croyais entre temps parvenir à retrouver la source de cet exergue d’André du Bouchet que j’ai apposé contre l’ouverture de mon recueil. Il ne peut provenir que de «l’ajour» ou de «Dans la chaleur vacante», deux titres que je possède chez moi. Que j’aime ces titres. Ceux-ci encore, pour le plaisir : «Ce que la lampe a brûlé», «Retours sur le vent», «Avant que la blancheur». du Bouchet écrit autour des choses, il dit en enlevant, il décrit ce qui disparaît. Il touche exactement à ce que René Lapierre a nommé quelque part − et que j’ai depuis tatoué sur les nerfs − «l’émotion de la forme».

On regarde du Bouchet autant qu’on le lit, on voit et on ne voit rien en même temps. On ressent à partir de presque rien, à propos de presque rien. Son art me fait ployer des genoux. Il dessine certaines choses sans les vider d’aucune substance; c’est que la chose, chez lui, n’a que très peu d’importance. Tout est dans les contours. Question de formes, qui m’émeuvent.

J’ai intercepté l’exergue, pour des raisons évidentes de neige, alors que j’étais aux trois quarts de l’écriture d’ouvert l’hiver. J’ai eu peur de ne pas pouvoir continuer d’écrire, tant relire les poèmes de du Bouchet risquait de me procurer plus de plaisir que de continuer à pelleter les contours de mes souvenirs pour en faire des poèmes.

Il n’est pas nécessaire que le lecteur aille lire ou relire du Bouchet avant de poursuivre avec mes bribes. C’est un simple marqueur de relations. J’ai considéré le mettre en fin de recueil. Mais je craignais que ça oblige encore plus lecteur, à sa sortie. Alors, libre à quiconque d’en faire ce qu’il veut. Pour moi, il s’agit d’une caution à l’ensemble, et d’un rappel, comme d’une dette : nul n’avance nulle part seul.

Concrètement, avant l’exergue du livre, on peut lire un autre marqueur de relations (j’utilise le pluriel à escient) : «Ce livre est pour Catherine M., et à Éric C., pour la chaleur.» Une autre dette. Que je ne t’expliquerai pas ici. Mais qui joue un rôle similaire : inscrire ce livre en relation avec quelque chose du monde, même nébuleusement. Justement, nébuleusement.

(la suite, demain.)

Poème du jeudi

je ne suis pas un homme

je ne suis pas un sujet

je ne suis pas une histoire qu’on raconte

encore moins un chiffre qu’on coule dans les colonnes bien droites des marchands du temple

je ne suis pas une catégorie, une tendance, une tranche d’âge

je ne suis ni mouton ni loup

je ne suis ni seul ni celui

mais il y avait du pain ce matin sur ma table

et alors je suis devenu ce pain

chaque bouchée me rendait identique à elle

et après, plus rien, de nouveau

le journal ne parlait pas de moi

la radio ne parlait pas de moi

le ministre Barrette ne parlait pas de moi

dans toute cette rumeur je n’existais furieusement pas

car je ne suis pas le produit de mon époque

je suis un graphique sans courbe

un fantôme tranquille qui n’achale personne

mais il y a eu cette chanson que j’ai entendue

et alors je suis devenu cette chanson

chaque pulsation me démultipliait dans la maison

et après, plus rien, de nouveau

je ne suis pas spécialement courageux

je ne suis pas un ciel nuageux

je ne suis jamais dans la bonne file

je ne retiens pas les numéros de téléphone

j’égare ma patience dans les escaliers mécaniques

je suis un autobus manqué

un panier de rochers percé

mais il y a eu ce poème que j’ai lu

et je suis devenu, depuis, ce poème

et depuis, toujours rien

toujours essentiellement plein de rien

nourri de ces milliers d’épaules frôlées aujourd’hui

je suis tout juste à côté, à proximité

je suis juste là

je suis une page

un espace dérisoire qui ne résiste ni au feu ni à l’eau

ni à l’envie de tout quitter

oui c’est ça, je suis une page

toujours blanche à attendre ce léger contact du bout des doigts

j’y suis presque, je suis presque là

et le poème s’avance vers moi, parfois

et ces livres, là-bas

quand ils se posent dans mes mains

c’est moi

Résidence, jour 1 : c’est ouvert!

C’est jeudi gris et c’est infiniment mieux qu’un lundi neige. C’est Salon du livre en Trifluvie, à l’heure où j’écris ceci des centaines d’enfants déjeunent avant leur journée au Salon. Pour ma part, je réfléchis à ma garde-robe. Quatre jours à me montrer au Salon, quatre jours à déambuler entre les kiosques, à parler aux auteur-e-s — plusieurs que je connais, plusieurs que non, faudra me dégêner –, à saluer libraires et éditeurs, à épier la réaction des gens qui feuillettent mon livre, à chercher du café, à trouver une heure quelque part pour écrire mon poème du jour, à participer à des activités. Aujourd’hui, en fin de journée, je serai de la cérémonie d’ouverture, à 17h, pour y lire mon texte tout chaud. Donc, ça prend du linge adéquat. Pas question que j’aie la même chemise toute la journée.

Et je ne peux même pas compter sur ma fidèle chemise noir et blanc en flanelle : tout le monde l’a déjà vue. Eh, misère. C’est aussi ça être écrivain.

Y’a quand même mieux à faire que de se plaindre, hein. Bon, on se donne rendez-vous à 17h pour l’ouverture officielle?

L’entrée est gratuite d’ailleurs, entre 17h et 21h aujourd’hui. Et puisque tu m’as lu jusqu’au bout, un secret d’initiés : y’aura du vin gratuit aussi. À 18 heures. Pas mal de vin, qu’il paraît. C’est que Guillaume Morrissette lance son deuxième roman, L’Affaire Mélodie Cormier, et, foi de poète mondain, ça risque d’être l’un des lancements les plus opulents des dernières années à Trois-Rivières. (La marque à battre est un lancement de La Société des pères meurtriers de Michel Chateauneuf, en 2010. C’était à la Maison Hertel-Lafrenière, qui hébergeait alors les bureaux du Salon du livre de TR. Oh, my. C’était… dionysiaque. Mes attentes sont donc élevées, mais j’ai confiance en Guillaume! Ah, aussi, outre la bonne chère, il y aura lecture d’un extrait du roman célébré et devinez qui prêtera sa chemise et sa voix à l’exercice?)

Bon début de Salon!

Sébastien

Bienvenue au Salon du livre de Trois-Rivières!

Du 21 au 24 mars 2024 au CECI de l'Hôtel Delta

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